France : Printemps d’unité face à l’extrême droite

Philippe Poutou

France :

« Printemps d’unité face à la menace de l’extrême droite »

Entretient de Philippe Poutou [NPA et candidat du Nouveau Front Populaire aux élections du 30/6/2024] à elaliberta.gr & TPT – “4” [Grèce], 27/6/2024


elaliberta.gr & TPT- « 4 »: Le résultat des élections européennes du 9 juin en France a été marqué par l’écroulement du bloc politique soutenant le président Macron et par une impressionnante progression de l’extrême-droite. Alors que la période précédente a été celle des gigantesques mobilisations contre la loi sur les retraites en 2023 et d’une réponse autoritariste, voire dictatoriale du gouvernement Macron envers ces mobilisations, pourquoi est-ce l’extrême-droite qui sort vainqueur des élections en France et non pas la gauche ?

Le développement de l’extrême droite avec son succès dans les urnes, la nationalisation du vote RN qui touche depuis ces dernières années l’ensemble des régions du pays, et la libération de la parole des votants RN sont avant tout les symptômes d’un rapport de force entre les classes qui nous est défavorable. L’échec de luttes sociales emblématiques, dont celle il y a à peine plus d’un an, sur la dernière réforme paramétrique des retraites (avec un recul de deux ans de l’âge légal de départ), met notre camp social en grande difficulté et nourrit des formes de démoralisation, de recul de la conscience de classe, voire de décomposition des organisations du mouvement ouvrier. En parallèle, la crise politique qui travaille de façon lancinante le système démocratique de ce pays, le discrédit des grandes familles politiques d’alternance (autour du PS et de la droite issue du gaullisme), amplifié par la victoire à la Pyrhus de Macron lors de la présidentielle de 2022 (privé d’une majorité parlementaire stable), a créé les conditions d’un mode de gouvernance autoritaire. Pour imposer les contre-réformes réclamées par les classes dirigeantes, les macronistes sont continuellement passés en force, s’asseyant largement sur les dispositifs de la pourtant critiquable démocratie parlementaire. 

Ce cocktail explosif de décomposition sociale, de crise politique et d’autoritarisme forcené de ceux qui gouvernement constitue le terreau sur lequel, en l’absence de perspective sérieuse à gauche, prospère le rassemblement national. 

On peut rajouter que le recul de la conscience de classe entraîne logiquement la dilution des solidarités, les réflexes internationalistes, et dans un monde de plus en plus inquiétant marqué par l’instabilité, cela permet aux préjugés de prospérer, avec en particulier un racisme d’Etat savamment entretenu. Mais comme souvent, les gens préfèrent largement l’original à la copie, et en mettant des mesures racistes, comme la récente loi asile immigration de Darmanin largement inspirée par l’extrême droite, la macronie déroule le tapis rouge en légitimant les idées du rassemblement national. 

Dernier avatar de cette poussée inquiétant, le consensus politico-médiatique, véritable front républicain à l’envers, qui a permis d’introduire le RN dans le dit “arc républicain” à l’occasion d’une grande manifestation contre l’antisémitisme en novembre dernier… tout en travaillant à expulser de cet “arc républicain” les forces authentiquement à gauche, même réformiste, comme La France insoumise, accusée d’être le principal vecteur de l’antisémitisme aujourd’hui en France. 

Dès lors, il n’y a plus aucune digue, aucune barrière, pour enrayer le développement du RN et sa possible accession au pouvoir, si ce n’est la reconstruction d’un espoir à gauche, et que la colère issue de cette situation permette un sursaut collectif qui remette au centre les valeurs d’égalité et de solidarité, et un projet de rupture avec ce système infernal. 


elaliberta.gr & TPT- « 4 »: La réaction de la gauche à la forte hausse du parti de Le Pen et à la proclamation d’élections législatives anticipées par Macron a vraiment été immédiate, avec la formation du Nouveau Front Populaire regroupant le Ps, les Verts, le PCF, La France Insoumise, et jusqu’au NPA. Comment cela a pu arriver? Est-ce que c’est le résultat de la pression du mouvement ouvrier et des mouvements sociaux ou bien s’agit-il d’une procédure qui était discutée par les directions dans la période précédente?

Le Nouveau Front populaire est avant tout la réponse à la situation attendue mais violente issue des urnes, avec le résultats des élections européennes qui ont hissé l’extrême droite à 40% des exprimés. Cela a amplifié une polarisation déjà existante, mais qui s’est renforcée avec l’effondrement électoral de la macronie durement sanctionnée pour sa politique antisociale et son incarnation méprisante par la figure de Macron. 

On a donc aujourd’hui d’un côté le bloc d’extrême droite qui se renforce, attirant à lui une partie de la bourgeoisie républicaine, comme Éric Ciotti, le leader du principal parti de la droite dite républicaine, mais aussi une partie de l’extrême-droite extrême, avec le ralliement de Marion Maréchal Le Pen revenue à la maison.

De l’autre, et heureusement, un bloc de gauche s’est formé, comme un sursaut de notre camp. La demande d’unité à la base face à la menace de la prise du pouvoir par le RN est en effet très forte, et a fait pression partout, y compris sur les directions des partis : c’est ainsi qu’il faut interpréter la formation de ce Nouveau Front populaire. Elle est elle-même à mettre en lien avec des expériences unitaires récentes et d’importance, comme l’année dernière avec la formation de l’intersyndicale opposée à la réforme des retraites, ou il y a deux ans avec la création de la NUPES.

Deux faits sont notables. Le premier, largement le plus important, est que de fait, ce Nouveau Front populaire n’est pas qu’un front politique, pas qu’un front électoral, à la différence de la NUPES en 2022, mais agrège aussi des forces du mouvement social qui sont sortie non seulement de leur réserve traditionnelle qui les voyait au mieux appeler à battre l’extrême droite. Il s’agit aujourd’hui d’un appel clair et franc à voter Nouveau Front populaire, à commencer par la principale confédération syndicale combative, la CGT. Dans un paysage du mouvement ouvrier largement marqué par la séparation entre le politique et le social, c’est un point d’appui pour la suite. Le Nouveau Front populaire est donc avant tout un front social et politique, dont il faut travailler à ce qu’il survive au-delà de ces élections législatives, en particulier si l’extrême droite prend les commandes du pays. Deuxième aspect, même si moins important mais qui compte pour nous, le périmètre politique du Nouveau Front populaire va de la gauche la plus radicale avec la présence de notre organisation, le NPA-L’Anticapitaliste… jusqu’à Hollande, l’ancien président social libéral, qui a failli tuer son propre parti et mis sur orbite Macron. “De Poutou à Hollande” soulignent les médias… C’est dans ce pays une expérience originale pour une organisation de la gauche anticapitaliste et révolutionnaire que de participer à un tel front, non pas en extériorité ou en soutien, mais en étant partie prenante de la campagne en cours. 

Tout cela souligne que le ressort de l’unité face au danger de l’extrême droite a été suffisamment puissant pour bousculer tout le monde, et rendre possible en quelques jours, ce large front nécessaire. Bien sûr, les contradictions fondamentales entre les stratégies et programmes des différentes forces politiques continuent à exister, tout comme les tensions entre forces politiques et mouvement social et syndical, mais tout le monde cherche à faire corps pour résister au mieux.


elaliberta.gr & TPT- « 4 »: La formation du Nouveau Front Populaire suscite de l’intérêt dans la gauche européenne et internationale. Le souvenir de la marche vers le pouvoir du Front Populaire en 1936 et de la grève générale qui a ensuite immédiatement éclaté, comme résultat de la victoire électorale, nourrit et intérêt et espoir. Pourtant, nous nous souvenons tou.tes de la tentative -réussie- du gouvernement Blum de désamorcer la grève générale, en confinant le mouvement ouvrier dans le cadre que réclamaient les bourgeois du Parti Radical alliés du Front Populaire. Comment le NPA va t’il investir les possibilités de mouvements qui pourront se présenter en cas de victoire possible de la gauche unie, tout en affrontant une gestion par le NFP dans un processus menant à un affaiblissement politique sur le modèle de 1936?

Il faut dire d’abord que le Nouveau Front populaire, comme dit, est avant tout une réaction au danger de l’extrême droite qui pourrait gagner ces élections législatives. S’il y a eu de premières manifestations quasi spontanées, le soir même des résultats et les jours qui ont suivi, cela s’est vite arrêté et il n’y a pas de dynamique de luttes, manifestations ou grèves, la réponse se situant largement dans les urnes à cette étape. Et si le samedi 15 juin, grande journée de manifestation dans tout le pays contre l’extrême droite, en particulier à l’appel des syndicats, a été une réussite, avec 250 000 personnes à Paris, et 600 000 à l’échelle nationale, on est loin d’une déferlante, comme par exemple en 2002 lors de l’accession de Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Les quelques appels à la grève de la CGT dans cette période n’ont pas été repris, et la manifestation féministe contre l’extrême droite dimanche dernier était bien en deça de celle une semaine plus tôt… Tout cela pour dire que sur le terrain des luttes, de la rue, l’impulsion n’est pas là.

Sur la suite, nous essayons de pousser là où nous sommes à ce que le Nouveau Front populaire puisse s’organiser à la base, qu’il y ait des comités de campagne qui regroupent, discutent et agissent. Mais le calendrier très court et précipité ne nous aide pas pour aller en ce sens. 

Nous participons à notre échelle et pleinement au Nouveau Front populaire. Mais comme toujours, l’enjeu principal de l’unité est tout autant de la faire que ce que nous y faisons. Ainsi, nous défendons le mot d’ordre « battre l’extrême droite et Macron dans la rue et dans les urnes ». L’enjeu électoral ne nourrit pas à cette étape un climat propice à la mobilisation, comme cela a pu être le cas pour le Front populaire de 1936, c’est plutôt l’attentisme de voir ce que vont donner les résultats du 7 juin au soir, avec y compris des éléments de peur un peu paralysant. 

Nous essayons de dire qu’aucune victoire des urnes ne changera en elle-même les choses, et c’est la mobilisation de notre classe qui est centrale, quelle que soit l’issue de la séquence. En ayant conscience bien évidemment que tout sera plus dur si nous perdons le bras de fer avec notre pire ennemi. Ce discours est partagé, d’autant plus que nous sommes de plain pied dans la campagne et pas extérieur comme le reste de l’extrême gauche, mais encore une fois, tout reste à faire. Si notre classe empêche l’extrême droite d’accéder au pouvoir ces prochaines semaines, ce sera une première victoire et vécue comme telle. Autre chose est la victoire électorale possible du Nouveau Front populaire qui semble bien plus lointaine.

Philippe Poutou

elaliberta.gr & TPT- « 4 »

27/6/2024

[voir le texte publié en grec ici]


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